Quel est l'objectif?
Les vaccins sont un outil, ils ne feront pas disparaître le virus SRAS-CoV-2 et la science ne saurait cautionner, face à la COVID, une politique misant tout sur la vaccination
Les vaccins sont un outil, pas une solution miracle. Si nous avions autorisé plus de débats scientifiques, nous l'aurions compris plus tôt.
Traduction de : Vaccines are a tool, not a silver bullet. If we’d allowed more scientific debate, we would have realized this earlier
Texte original écrit en anglais par Norman Doidge, MD et publié dans le Globe and Mail le 22 janvier 2022 (mis à jour le 27 janvier 2022)
Plus de deux ans après l'apparition de la COVID-19, notre ensemble de solutions - et l'attitude nécessaire pour les utiliser - est trop restreint. Il est temps d'écouter la science d'une manière plus large.
Norman Doidge, MD, est psychiatre, psychanalyste et auteur de The Brain That Changes Itself. Il est directeur exécutif de Health and the Greater Good.
Juste avant Noël, sans grande fanfare, l'Ontario est devenue la première province à approuver la fluvoxamine (un médicament vieux de plusieurs décennies dont peu de gens avaient entendu parler) pour le traitement précoce de la COVID-19. L'annonce du 20 décembre, qui a eu lieu à un moment où les Canadiens étaient préoccupés par Omicron et craignaient que les hôpitaux soient bientôt débordés, n'a pratiquement pas été couverte par les médias.
La fluvoxamine est un "médicament reconverti" et provient de ce qui pourrait sembler être une source des plus improbables : la psychiatrie. Il s'agit d'un antidépresseur utilisé le plus souvent pour traiter les troubles obsessionnels compulsifs. Le médicament a fait l'objet de deux essais contrôlés randomisés (ECR - le niveau de preuve le plus élevé) et de quatre études d'observation montrant qu'il permet aux personnes atteintes de COVID de ne pas être hospitalisées, qu'il ne nécessite pas d'intubation et qu'il contribue à prévenir le décès. La découverte de ses propriétés anti-COVID est le fruit d'un travail impressionnant en France et aux États-Unis. Ensuite, un partenariat codirigé par une équipe de Canadiens a mené le vaste essai randomisé qui a prouvé son mode d’action.
Il s'agit d'une bonne nouvelle, qui montre que nos responsables de la santé publique font quelque chose de bien et font preuve de souplesse, à un moment où nous découvrons les limites de nos vaccins et des stratégies qui les accompagnent. Une réévaluation est dans l'air, motivée par l'expérience de deux ans de la pandémie, y compris pour les scientifiques.
Considérez comment les choses apparaissaient en avril 2020, lorsque Bill Gates, dont la fondation est le plus grand contributeur privé de l'Organisation mondiale de la santé, a déclaré : "La solution ultime, la seule chose qui nous permette vraiment de revenir complètement à la normale et de nous sentir bien... c'est de créer un vaccin."
Cela signifiait qu'en pratique, selon lui, notre principal espoir et notre principal centre d'intérêt - dans la recherche, la politique, les médias et même sur le plan émotionnel, pour beaucoup - devenait la vaccination. M. Gates a formulé ce qui est devenu notre récit principal : la santé publique arrêterait la propagation de la maladie par les mesures du moment telles que le confinement, le découragement des activités sociales et des voyages, la fermeture des écoles et des entreprises jusqu'à l'arrivée des vaccins, toutes ces mesures nous protégeraient jusqu'à ce que nous obtenions partout une immunité collective induite par les vaccins, ce qui, nous disait-on, éliminerait le virus.
Nous avons fait confiance aux vaccins, tandis que d'autres approches - comme les médicaments pour un traitement précoce, le rôle de notre immunité naturelle ou la réduction de nos facteurs de risque personnels, par exemple - ont reçu comparativement moins d'attention.
Des personnes clés ont prédit - à moitié promis, en fait - que nous en aurions fini avec le coronavirus, du moins en Occident, d'ici l'été 2021. En février 2021, le PDG de Pfizer, Albert Bourla, a déclaré que le vaccin offrait toujours une forte protection au bout de six mois et que "les indicateurs actuels ... nous indiquent qu'il existe une protection contre la transmission de la maladie". En avril de la même année, le Dr Ugur Sahin, PDG de BioNTech (qui a développé le vaccin pour Pfizer), a déclaré aux journalistes : "L'Europe atteindra l'immunité collective en juillet, au plus tard en août."
Ce n'était pas difficile à vendre. Qui ne voudrait pas que ce soit vrai ? N'ayant aucune expérience des pandémies, nous les avons pris au mot. Les politiciens ont entretenu l'idée que notre objectif approprié pour gérer le coronavirus serait de "l'éliminer partout", comme l'a dit le Premier ministre Justin Trudeau. Un traitement précoce ne promet pas cela, même s'il pourrait faire baisser le taux de mortalité. L'éradication a un attrait plus psychologique : débarrassons-nous de cette maladie pour toujours.
Pourtant, en ce triste mois de décembre 2021, deux ans plus tard, alors que le nombre de cas est sur le point d'atteindre un niveau record, qu'un autre confinement est imminent et que les vaccins s'amenuisent, ce n'est pas ce qui s'est passé. Peut-être que si nous n'avions pas été si concentrés sur un seul outil, les choses auraient pu se passer différemment. Et peut-être que si certaines voix n'avaient pas été réduites au silence et que d'autres voix avaient un mégaphone, notre boîte à outils pandémique et notre état d'esprit auraient également été différents.
Les gens applaudissent les travailleurs de la santé depuis leurs balcons au deuxième jour du premier confinement en France, à Paris, en 2020. C’est dans un hôpital psychiatrique à Paris qu’on s’est initialement posé les questions relatives au COVID-19 qui ont mené à l’élaboration de théories sur les propriétés antivirales des antidépresseurs. THOMAS COEX/AFP via Getty Images
Au début de la pandémie, sur le site Sainte-Anne de l'hôpital psychiatrique parisien Psychiatrie & Neurosciences, un phénomène mystérieux s'est produit. Le personnel a commencé à contracter la COVID-19 en grand nombre, mais pas leurs patients, gravement atteints mentalement. Trois membres du personnel ont contracté la COVID-19 pour chaque patient, alors que ces derniers présentaient davantage de facteurs de risque, comme le surpoids ou les maladies cardiovasculaires.
Quelqu'un s'est demandé s'il était possible que les médicaments psychiatriques des patients les protégaient. Le personnel s'est penché sur la chlorpromazine, un médicament antipsychotique courant, et a appris qu'elle avait des propriétés antivirales contre le SRAS-CoV-1 et le MERS-CoV (les prédécesseurs du SRAS-CoV-2). Dans une publication de mai 2020, ils ont proposé de le l’adapter au traitement du COVID-19.
Des psychiatres et des scientifiques français ont ensuite réalisé une étude multicentrique, portant sur 7 230 patients qui avaient été hospitalisés à Paris pour une COVID-19 sévère. Par coïncidence, 300 de ces patients prenaient des antidépresseurs. Les données ont montré que ceux qui prenaient des inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS) - un type d'antidépresseur - étaient moins susceptibles de devoir être intubés ou de mourir. Tous les ISRS n'ont pas les mêmes effets, mais ceux qui les avaient ont réduit les problèmes inflammatoires majeurs (la "tempête de cytokines" de la COVID, qui tue souvent). Des recherches en laboratoire ont montré que l'ISRS fluvoxamine avait un effet antiviral et un effet salutaire sur les plaquettes sanguines qui pourrait protéger les patients contre les caillots sanguins.
Pendant ce temps, aux États-Unis, dans un processus parallèle, une pédopsychiatre, le Dr Angela Reirson, a attrapé la COVID au début de 2020. Malade à la maison, elle a commencé à faire des recherches. Elle s'est souvenue d'une étude sur des souris qu'elle avait lue l'année précédente. Les souris avaient une septicémie, une réaction dangereuse à une infection qui peut tuer. Quelque chose de semblable à la septicémie peut se produire dans les cas graves de la COVID. Dans l'étude de 2019, les souris atteintes de septicémie ont reçu de la fluvoxamine, qui a freiné la détérioration de leur état. Ainsi, en mars 2020, le Dr Reirson a contacté un autre psychiatre, Eric Lenze, un de ses collègues à l'Université Washington de St. Louis. Le Dr Lenze était un spécialiste de la reconversion des médicaments. Réalisant que la fluvoxamine avait un excellent dossier de sécurité, il a lancé son premier petit essai comparatif randomisé sur des patients du COVID. Aucun des 80 volontaires ayant reçu de la fluvoxamine n'a vu son état se détériorer ou n’a subi des lésions pulmonaires dues à la COVID, alors que 8 % des 72 volontaires ayant reçu un placebo ont vu leur état se détériorer. Les résultats ont été publiés dans le JAMA en novembre 2020.
Vient ensuite l'essai Together, la plus grande étude mondiale sur les médicaments COVID sous placebo, codirigée par Edward Mills, chercheur à McMaster, et Gilmar Reis, médecin brésilien. Pour faire de grands essais, il faut beaucoup de cas, et le Brésil en avait deux millions. L'étude a été publiée le 27 octobre 2021 dans le Lancet. Elle a étudié environ 1 500 patients non vaccinés atteints de COVID-19 qui souffraient également d'une autre maladie grave et présentaient un risque élevé d'hospitalisation. La moitié d'entre eux ont reçu de la fluvoxamine, l'autre moitié un placebo. Chez ceux qui ont pris la fluvoxamine telle que prescrite, elle a réduit de 66 % les risques d'hospitalisation ou de soins d'urgence et de 90 % les risques de décès.
La Table scientifique de l'Ontario a pris note de ces résultats et, le 20 décembre, elle a inclus la fluvoxamine dans les lignes directrices, afin que les médecins puissent la prescrire en consultation externe si nécessaire, reconnaissant "la nécessité de disposer d'options de traitement en consultation externe présentant un profil de sécurité raisonnable lors d'un pic anticipé de cas de COVID-19 dû à la variante Omicron".
C'était significatif, car le traitement précoce de la COVID - les mesures que nous pouvons prendre pour éviter que les cas symptomatiques ne s'aggravent, nécessitant une hospitalisation - a été si minime. En Ontario, le traitement comprend des anticorps monoclonaux (maintenant, un seul fonctionne avec la variante Omicron) pour certaines personnes à risque, et des stéroïdes. Sinon, on a dit aux patients externes de se reposer, de boire des liquides et d'espérer que leur système immunitaire s'occupe du virus.
Il est vrai qu'on a beaucoup parlé de tout nouveaux médicaments non reconvertis pour le traitement précoce. Le Paxlovid de Pfizer, qui vient d'être approuvé par Santé Canada lundi, est très récent. Mais les médicaments reconvertis ont déjà fait leurs preuves, et présentent donc souvent un avantage en termes de sécurité. Et les médicaments génériques sont bon marché. La fluvoxamine coûte environ 15 $ pour un traitement. Les médicaments reconvertis sont utilisés par les pays les plus pauvres qui n'ont pas les moyens de se procurer des vaccins ou des médicaments coûteux pour le traitement précoce, comme le Paxlovid (500 $) ou le Molnupiravir (700 $US et pas encore approuvé au Canada).
Alors pourquoi les traitements ne se sont-ils pas davantage concentré sur les médicaments reconvertis ?
D'abord, parce que le discours dominant, une fois qu'il s'est imposé, a détourné notre attention de cette possibilité. Deuxièmement, en Amérique du Nord, le premier médicament reconverti qui a attiré l'attention du public a été l'hydroxychloroquine. Lorsqu'elle a été approuvée par le président de l'époque, Donald Trump, elle est devenue très politisée. L'opinion des gens à son sujet avait souvent plus à voir avec leur affiliation politique qu'avec le fait de savoir s'ils avaient lu l'une des 303 études (à ce jour). Troisièmement, les organismes qui réglementent les médicaments, comme la Food and Drug Administration américaine et Santé Canada, exigent que tout médicament qu'ils évaluent ait un commanditaire, généralement une société pharmaceutique qui accepte d'assumer les responsabilités pour le médicament. Il s'agit d'un processus extrêmement coûteux. Si un vieux médicament générique bon marché semble prometteur pour une nouvelle utilisation, il doit tout de même avoir un commanditaire pour être approuvé. Mais les compagnies pharmaceutiques n'ont aucun intérêt financier à le faire. Donc, en général, il n'y a pas de commanditaire, et l’initiative de reconvertir le médicament est abandonnée.
Une personne passe devant une peinture murale en l'honneur des travailleurs de la santé à Toronto. L'imagerie de la guerre et de la lutte collective a pris une place importante dans le récit du COVID-19 : Cette peinture murale, par exemple, reprend la pose et le bandana de Rosie the Riveter, une icône de la Seconde Guerre mondiale. Nathan Denette/The Canadian Press
De toutes les raisons pour lesquelles nous n'avons pas mis l'accent sur la reconversion des médicaments connus, je dirais que le discours dominant était le plus important, en raison de la façon dont il organisait les pensées, l'attention et les émotions de tant de personnes.
Ce récit n'aurait pas été aussi problématique s'il n'avait pas été lié à autre chose : la métaphore militaire qui a défini notre expérience du COVID depuis le début. Ce discours dominant était notre plan de bataille et il s'agissait d'une "guerre" pour éradiquer le virus ennemi.
Cette métaphore militaire semble être une seconde nature en médecine. Nous sommes toujours en "guerre contre le cancer", ou en train de "combattre" les maladies cardiaques, la maladie d'Alzheimer et le SIDA. Mais cette façon de penser n'est devenue courante en médecine qu'il y a plusieurs centaines d'années, après que le philosophe Francis Bacon a fait valoir que l'objectif de la science devait passer de ce qu'il avait été - "l'étude de la nature" - à la très pratique "conquête de la nature". Très vite, les médecins ont parlé de "conquête" de la maladie, avec des "remèdes miracles". Nous avons de plus en plus abandonné l'esprit hippocratique initial de la médecine en tant que prolongement de la nature, qui impliquait de travailler avec elle, en allié, dans la mesure du possible - non pas pour conquérir, mais pour guérir, souvent avec l'aide des propres capacités de guérison du patient.
Les scientifiques devaient être les soldats de cette nouvelle armée. Et là, un problème se pose. Malgré certaines similitudes, il est préférable de ne pas considérer la science (et la médecine) comme une guerre - et les vertus qui conviennent aux soldats dans une armée (suivre une autorité sans poser de questions) sont des vices dans la science, qui est un mode d'enquête critique. La science moderne est née parce que le monde était rempli de trop de dogmes et d'orthodoxies qui ne pouvaient être remis en question. C'est pourquoi la devise de la Royal Society, la première institution scientifique nationale, est devenue Nullias in verba, "Ne prenez rien sur parole". C'est le rôle des scientifiques, comme l'a dit le physicien Richard Feynman, lauréat du prix Nobel, de remettre en question les experts et les collègues scientifiques, et de débattre des conclusions de chaque expérimentateur, qui sont fondées sur des jugements humains et des interprétations des données, jusqu'à ce qu'on ait la certitude que la conclusion peut résister à toutes attaques.
La réévaluation de tout discours dominant nécessite l'intégration de nouvelles idées qui, par définition, proviennent d'un point de vue minoritaire. Lorsqu'une métaphore militaire envahit une société ou une bureaucratie en proie à la peur, il s'ensuit une pensée du type "tout ou rien", "vous êtes avec nous ou contre nous". Nous devenons plus enclins à considérer quelqu'un qui ne suit pas l'opinion de la majorité - y compris les scientifiques qui repèrent des problèmes dans le discours dominant - comme mettant le reste d'entre nous en danger et comme un "traître", plutôt que comme quelqu'un qui fait son travail. Ils sont attaqués, censurés ou s'autocensurent pour survivre. À la guerre, on se tait et on suit les ordres, ou on passe en cour martiale.
Nous sommes particulièrement méfiants à l'égard d'autrui en période de contagion, car notre cerveau est stimulé par un circuit primitif qui nous protège en nous faisant nous préoccuper de manière obsessionnelle de la pureté de ceux qui nous entourent. Cette personne va-t-elle me rendre malade ? Il s'active même si nous pensons que leurs actions, ou même leurs propositions politiques, peuvent être risquées. Ce circuit, appelé système immunitaire comportemental, nous fait craindre, détester et éprouver de la rage envers le porteur de germes "impurs". Il donne lieu à de nombreuses fausses alertes (pensez à une personne conduisant seule avec un masque). C'est l'une des raisons pour lesquelles les débats sur les vaccins sont émotionnellement empoisonnés. Certaines personnes vaccinées pensent que tous les non-vaccinés sont porteurs de germes, tandis que d'autres non-vaccinées pensent que le vaccin peut introduire des germes ou des toxines dans leur corps.
L'été dernier, alors que l'on apprenait qu'il y avait des infections post-vaccinales et que la protection vaccinale contre les infections s'amenuisait, les médias nord-américains ont commencé à nous conseiller de revoir nos attentes à la baisse : "Les vaccins ne peuvent pas tout faire", titrait le Washington Post. De nombreux lecteurs ont été pris complètement au dépourvu. Ils ont été surpris en partie parce que la censure des scientifiques qui avaient des opinions divergentes - et qui avaient avertis que cela pourrait arriver - était beaucoup plus répandue que n’en sont conscients beaucoup de gens.
Selon un rapport d'Amnesty International publié en octobre, la censure et le harcèlement des professionnels de la santé, entre autres, ont été un problème "dans le monde entier" pendant la pandémie. Les personnes les plus pointées du doigt sont celles qui expriment des opinions critiques à l'égard de la politique de leur gouvernement (par exemple, restrictions de mouvement, confinement ou critiques à l'égard des libertés civiles).
Les censeurs justifient ces actions en disant qu'il s'agit simplement d'interdire la "désinformation" et de "prévenir la panique". En Amérique du Nord, les gens n'ont pas été emprisonnés, mais de nombreux scientifiques et médecins brillants, titulaires de diplômes en bonne et due forme délivrés par des établissements tels que Harvard, Oxford et Stanford, étaient sous le feu des critiques. Les médecins ont été vilipendés pour avoir remis en question les politiques gouvernementales sur les confinements, les masques, certains aspects des vaccins, l'atténuation ou les traitements non prouvés - les choses mêmes qui faisaient, bien sûr, l'objet d'un débat scientifique sérieux et continu.
Dans certaines juridictions d'Amérique du Nord, les médecins sont menacés par leur ordres professionnels de se faire suspendre ou se faire révoquer leur permis d’exercer la médecine pour avoir diffusé des "informations erronées", ce qui oblige certains médecins à choisir entre ce qu'ils considèrent - à tort ou à raison - comme l'intérêt supérieur de leurs patients et leur propre gagne-pain. Mais comme l'indique le rapport d'Amnesty, "Pour gagner la bataille contre le virus, il ne suffit pas d'actions menées par le gouvernement et de diktats imposés par le haut, il faut aussi adopter des approches ascendantes qui ne peuvent se concrétiser que si les droits à la liberté d'expression et à l'accès à l'information sont pleinement respectés."
Il y a bien eu des affirmations sur le charlatanisme sur Internet, oui, mais généralement, lorsque des scientifiques et des professionnels de la santé étaient parties prenantes de ces querelles, c'était parce qu'il y avait un débat scientifique. Dans un tel cas, accuser son adversaire de diffuser des "informations erronées" revient à s'attribuer de manière préventive une certitude injustifiée - et à attribuer à son adversaire de la mauvaise foi. Parfois, personne ne savait vraiment ce qui était le plus nuisible - par exemple, garder les enfants hors de l'école ou les y envoyer. Les informations erronées abondaient dans notre situation inédite, y compris celles diffusées par des fonctionnaires qui ont fait volte-face à plusieurs reprises sur les masques ou qui, prétendant "suivre la science", différaient des fonctionnaires de juridictions similaires, sur la base de données changeantes.
C'est ce que l'on appelle, en médecine, le problème du "revirement médical". Une approche que l'on croyait utile s'avère être nuisible, et vice versa. Parfois, deux études peuvent se contredire, le même jour. Le médecin-scientifique Vinayak Prasad, de l'UC San Francisco, affirme qu'il s'agit du problème le plus important auquel la médecine est confrontée aujourd'hui. Le problème des revirements médicaux n'a pas disparu le jour où le virus a débarqué sur nos côtes. Nous n'avions pas seulement un problème de virus, mais aussi un problème de revirement médical.
Les organisations médicales se sont trouvées dans une situation inhabituelle, déchirées entre la très estimée tradition de débat scientifique, l'atmosphère de crise et leur désir de contribuer à l’effort de guerre . Après tout, il est vital que la santé publique et ses responsables, en cas de crise, soient capables de transmettre des messages cohérents lorsqu'ils demandent aux citoyens de modifier leurs comportements et de subir diverses privations. Mais pour que ces messages soient convaincants et que les demandes de privations soient scientifiquement défendables et légitimes, les actions doivent être fondées sur un processus scientifique complet, ouvert et sans entrave, suffisamment solide pour résister à la critique et au débat scientifique. Sinon, pourquoi le public devrait-il suivre ? La censure, en donnant au public la fausse impression qu'il n'y a pas de controverses médicales, sape la propre prétention du censeur à parler au nom de la science et de la sécurité publique. Ironiquement, elle garantit que le public sera mal informé.
Des personnes allument un étalage d'environ 1 500 bougies à la mémoire des victimes du COVID-19 à Greifswald, en Allemagne. Après que le virus original se soit répandu dans le monde entier, des variants plus contagieux comme Delta et Omicron l'ont supplanté, et les chercheurs se sont efforcés de comprendre l'efficacité des vaccins contre celles-ci. Stefan Sauer/dpa via AP
Les auteurs du discours dominant ont tendance à dire que la principale raison pour laquelle les choses ne se sont pas déroulées comme ils l'avaient prévu est l'apparition de variants. Mais si quelque chose avait pu être prédit, c'est bien que les virus mutent. Vincent Racaniello, virologue à Columbia, a décrit comment ses collègues scientifiques craignaient que la nouvelle technologie ARNm, en ne se concentrant que sur une petite partie du virus, la protéine spike, ne permette au virus de "contourner" ou d'échapper au vaccin par des mutations. "C'est en partie pour cette raison", a-t-il déclaré en mai, "que tous les variants apparaissent maintenant, car nous n'avons que les épitopes de la protéine spike". Ce point de vue n'a pas été beaucoup entendu.
Ce n'est pas seulement le rôle des variants dans la baisse de l'efficacité des vaccins qui a surpris les gens. Quelque chose dans l'exécution des essais cliniques originaux, menés par les laboratoires pharmaceutiques eux-mêmes (sur leurs propres produits), a également conduit à cette surprise. Il est intéressant de revenir un instant en arrière pour voir le déroulement du problème.
En décembre 2020, les nouveaux vaccins à ARNm ont été lancés et, selon les essais cliniques randomisés, ils étaient efficaces à 95 % (Pfizer) et 94,5 % (Moderna) pour stopper l'infection. Le médecin-scientifique Eric Topol, directeur des laboratoires Scripps, a déclaré que ces vaccins "entreront dans l'histoire comme l'une des plus grandes réussites de la science et de la recherche médicale."
Mais à l'arrivée de l'été 2021, l'expérience du monde réel a contredit les affirmations de M. Bourla et du Dr Sahin concernant l'efficacité à six mois, l'absence de transmission par les vaccinés et l'immunité collective imminente. Dans son interview de février, M. Bourla, de Pfizer, avait qualifié Israël de "laboratoire du monde", parce que ce pays était vacciné avec le Pfizer de façon très étendue et plusieurs mois avant les autres pays, donnant au monde un aperçu de son avenir. Mais lorsque la santé publique israélienne a publié ses données sur six mois, elles ont montré que l'efficacité du vaccin était tombée à 39 %, et que la Delta était en pleine expansion. (La FDA avait initialement déclaré qu'elle n'approuverait pas un vaccin efficace à moins de 50 %). Une étude de la clinique Mayo a montré qu'après six mois, la protection conférée par les deux doses Pfizer était tombée de 95 % à 42 %. Une autre étude israélienne a montré qu'elle était tombée à 16 %. Cet écart considérable ne pouvait pas être attribué uniquement au nouveau variant, Delta, car la protection s'estompait déjà au bout de cinq mois pour les variants précédents également.
Alors pourquoi une telle divergence ? Les études originales étaient des essais cliniques. L'étude Pfizer a suivi environ 38 000 personnes sans COVID qui ont été divisées en deux groupes : la moitié a reçu le vaccin et l'autre moitié un placebo. Les chercheurs ont posé la question suivante : les vaccins pouvaient-ils prévenir les cas symptomatiques de COVID-19 ? Mais, comme l'a prévenu Peter Doshi, rédacteur en chef du British Medical Journal, "aucun des essais actuellement en cours n'est conçu pour détecter une réduction des résultats graves tels que les admissions à l'hôpital, le recours aux soins intensifs ou les décès." Il a expliqué que "comme la plupart des personnes atteintes de COVID-19 symptomatique ne présentent que des symptômes légers, même les essais portant sur 30 000 patients ou plus ne mettraient en évidence que relativement peu de cas de maladie grave." Susanne Hodgson, de l'Université d'Oxford, est d'accord : "Les [essais de contrôle randomisés] en cours sont ... sans puissance pour évaluer l'efficacité contre l'admission à l'hôpital et le décès."
Le rapport de Moderna à la FDA le 17 décembre 2020 a confirmé "qu'il n'y avait pas de décès dus à la COVID-19 au moment de l'analyse intermédiaire pour permettre une évaluation de l'efficacité du vaccin contre les décès dus à la COVID-19." Moderna a suivi environ 30 000 personnes. Lorsque le British Medical Journal lui a demandé pourquoi l'essai n'avait pas été conçu pour évaluer si le vaccin pouvait prévenir les hospitalisations et les décès, Moderna a répondu : "Il faudrait un essai 5 ou 10 fois plus important ou un essai 5 à 10 fois plus long pour recueillir ces événements." Dans l'étude Pfizer portant sur 38 000 personnes, pas une seule personne du groupe placebo ou du groupe vacciné n'est décédée de la COVID. A la date de publication, une seule personne était décédée de la COVID dans l'étude Moderna. Pour le dire clairement : Une personne sur environ 70 000 dans les études combinées de Pfizer et Moderna est décédée de la COVID. Dans le monde réel, à l'époque, environ 60 % des décès dus à la COVID concernaient des personnes âgées de plus de 75 ans. Mais seulement 4,4 % des personnes de ce groupe d'âge ont participé à l'étude Pfizer. L'échantillon choisi n'était pas approprié pour répondre à la question la plus pressante du public : Les vaccins pouvaient-ils sauver des vies ?
Et combien de temps les vaccins Moderna et Pfizer avaient-ils été étudiés, lorsqu'ils ont été mis sur le marché pour une utilisation massive à l'hiver 2021 ? Deux mois.
Ces études ont examiné les vaccins dans leur état le plus puissant, dans une population à faible risque, et nous ont donné une photographie instantanée; un portrait flatteur. Mais la COVID-19 n’est pas une photo; c’est un film.
En revanche, l'étude Mayo, et les données israéliennes, examinaient les données sur une durée plus réaliste pour tester l'efficacité.
Le déclin a créé une crise en Israël. La Dr Sharon Alroy-Preis, directrice des services de santé publique d'Israël, a expliqué au comité consultatif de la FDA sur les vaccins de rappel, pourquoi le pays a été le premier à mettre en place une troisième injection : "Ce que nous avons constaté avant notre campagne de rappels, c'est que 60 % des personnes dans un état grave et critique étaient vaccinées, doublement vaccinées, complètement vaccinées et, comme je l'ai dit, 45 % des personnes décédées lors de la quatrième vague étaient doublement vaccinées." La plupart des "infections postvaccinales" sont en effet bénignes, mais elle décrivait des infections potentiellement mortelles chez les personnes vaccinées. Michael Mina, épidémiologiste à Harvard, a déclaré que, les infections postvaccinales étant devenues courantes dans le monde entier, le message selon lequel "il ne s'agit que d'une épidémie de personnes non vaccinées... tombe à plat".
Quant à l'affirmation du Dr Sahin selon laquelle nous étions sur le point d'obtenir une immunité collective induite par les vaccins et de nous débarrasser complètement de la COVID, des experts tels que Larry Brilliant (qui avait contribué à l'éradication de la variole grâce aux vaccins) et cinq autres scientifiques ont écrit dans Foreign Affairs en juillet 2021 : "Chez les humains, l'immunité collective mondiale, autrefois présentée comme une solution unique, est inatteignable." Ils ont expliqué avec précision pourquoi le coronavirus était différent de la variole, et qu'il ne pouvait pas être "éradiqué", comme le fait qu'il se développe déjà chez une douzaine d'espèces animales. "Si nous sommes obligés de choisir un vaccin qui ne donne qu'un an de protection, a déclaré le Dr Brilliant, alors nous sommes condamnés à voir le coronavirus devenir endémique, c’est-à-dire une infection qui est toujours avec nous..." L’idée que les vaccins nous amèneraient à une immunité de groupe avait été l'une des deux principales justifications scientifiques des mandats de vaccination. Elle a disparu.
L'autre justification des mandats était que les vaccinés ne transmettent pas le virus.
La plupart d'entre nous avaient présumé, lorsque nous avons reçu nos premières doses, que nous ne pouvions pas transmettre le virus aux autres. Les déclarations publiques n'ont cessé de féliciter les gens de "faire leur part pour arrêter la propagation". Mais en août, Rochelle Walensky, directrice du CDC, a déclaré à CNN, lorsqu'on lui a demandé pourquoi les vaccinés devaient porter des masques : "Nos vaccins fonctionnent exceptionnellement bien. Ils continuent de bien fonctionner pour Delta ; en ce qui concerne les maladies graves et les décès, ils les préviennent. Mais ce qu'ils ne peuvent plus faire, c'est empêcher la transmission."
En fait, les essais cliniques randomisés initiaux pour Pfizer et Moderna n'ont pas testé si les vaccins arrêtaient la transmission. Or, notre meilleur espoir était que les vaccinés transmettent moins que les non-vaccinés. Plusieurs études ont pu être interprétées comme le démontrant. Mais d'autres ont montré que les vaccinés avaient probablement une transmission égale. Une étude, menée dans une prison, a conclu que les prisonniers vaccinés avaient autant de "potentiel de transmission" que les prisonniers non vaccinés, ajoutant que "les cliniciens et les praticiens de la santé publique devraient considérer que les personnes vaccinées qui sont infectées par le SRAS-CoV-2 ne sont pas moins infectieuses que les personnes non vaccinées". Le Dr Cyrille Cohen, chef du laboratoire d'immunothérapie de l'université Bar-Ilan, et conseiller du gouvernement israélien pour les essais de vaccins, a déclaré qu'en ce qui concerne la transmission avec Omicron, "nous ne voyons pratiquement aucune différence (...) entre les personnes vaccinées et non vaccinées", ajoutant "les deux sont infectés par le virus, plus ou moins au même rythme." La rancœur que nous, les vaccinés, dirigeons de plus en plus contre les non-vaccinés, s'alimente en restant volontairement inconscients de cette douloureuse vérité ultérieure : nous propageons nous aussi, à nous-mêmes, et aux non-vaccinés, comme eux à nous et entre eux.
Le récit principal est resté muet sur l'immunité naturelle et sa relation avec le statut vaccinal. De nombreux scientifiques-médecins, issus d'universités américaines renommées et spécialisés dans la santé publique, affirment que l'on peut être pour l'utilisation du vaccin COVID, mais aussi contre le fait de l'imposer aux personnes non vaccinées qui sont déjà immunisées.
Ces scientifiques soutiennent que l'important n'est pas qu'une personne soit vaccinée ou non, mais qu'elle soit immunisée ou non. Ainsi, l'Union européenne reconnaît l'immunité naturelle dans son certificat numérique COVID, qui tient lieu de passeport vaccinal, et ne se limite pas à une preuve de vaccination. Vous pourriez obtenir un passeport et voyager si vous avez été vacciné ou si vous vous êtes "remis de la COVID-19″ ou si vous avez un test récent indiquant que vous êtes négatif. Pour les voyages en avion et en train, le Canada a également reconnu la guérison de la COVID comme une exemption, si l'on présente un test récent négatif - mais, de manière incohérente, l'immunité naturelle n'est pas reconnue dans la plupart des autres situations de quasi-mandat ici. Ces scientifiques pensent qu'il est irrationnel que les appels gouvernementaux en faveur de mandats de masse s'intensifient au moment même où les principales justifications initiales de ces mandats - à savoir que les vaccinés ne transmettraient pas le virus et que le vaccin nous permettra d'atteindre l'immunité collective - se sont effondrées.
Les personnes non vaccinées qui ont été exposées au virus sont très nombreuses. Par exemple, aux États-Unis, selon une étude de l'université Columbia, au 31 janvier 2021 (avant que de nombreux vaccins n'aient été administrés), 10 mois après le début de la pandémie, 120 millions d'Américains étaient naturellement immunisés. Aujourd'hui, 12 mois plus tard, avec les variants Delta et Omicron, beaucoup plus infectieux, il est probable qu'une majorité très importante des personnes non vaccinées bénéficient désormais d'une immunité naturelle.
Une étude récente menée en Afrique du Sud - qui n'a pas encore fait l'objet d'un examen par les pairs - montre que dans les communautés pauvres, où la vaccination était modeste (39 % des adultes), plus de 70 % des personnes avaient déjà été exposées au virus lors des vagues précédentes et jusqu’à Omicron. Les personnes doublement vaccinées étaient plus protégées que celles qui n'étaient pas vaccinées et n'avaient jamais eu la COVID. Mais les personnes non vaccinées qui ont eu la COVID et se sont rétablies étaient plus protégées contre les maladies graves que les personnes vaccinées. Une étude israélienne a montré que les personnes non vaccinées qui se remettent de la COVID ont 27 fois moins de risque de réinfection que les personnes vaccinées, et neuf fois moins de risque d'hospitalisation.
Lors d'un récent débat Munk, le Dr Martin Kulldorff, épidémiologiste et spécialiste de la sécurité des vaccins à Harvard, a fait valoir que le fait d'imposer des vaccins aux personnes naturellement immunisées "crée en fait des problèmes parce que lorsque les gens voient qu'ils sont obligés de prendre un vaccin dont ils n'ont pas besoin parce qu'ils sont déjà immunisés, cela provoque une grande méfiance à l'égard de la santé publique. Et nous avons vu au cours de cette dernière année et demie que tout le dur travail que nous avons fait pendant plusieurs décennies pour construire la confiance dans les vaccins est en train de disparaître parce que nous faisons ces mandats qui n'ont aucun sens d'un point de vue scientifique ou de santé publique".
La santé publique évolue à la vitesse de la confiance, comme l'a écrit le médecin Rishi Manchanda. Des deux principales approches de la santé publique - la participative, et la coercitive - la coercitive se fait généralement des ennemis, et déchire la société. C'est comme un lièvre : il a des victoires rapides. L'approche participative est une tortue ; lorsqu'elle ne parvient pas à convaincre, au lieu de blâmer ceux qu'elle sert, elle se demande, comme un scientifique, où j'ai échoué et cherche à faire mieux.
Des personnes sont vues à travers un cadre sur lequel on peut lire "renforcement de la troisième dose" lors d'une clinique de vaccination de masse pour les personnes de plus de 60 ans, à Mexico. Les troisièmes doses se sont avérées très efficaces contre Delta, et sont toujours importantes pour prévenir l'hospitalisation et la mort dans les cas Omicron. Luis Cortes/Reuters
Le troisième booster d'Israël a permis de repousser la vague Delta. Puis Omicron a frappé. Le 19 décembre, le New York Times a titré un article intitulé "La plupart des vaccins du monde ne préviendront probablement pas l'infection par Omicron". Heureusement, les vaccins semblaient encore pouvoir empêcher ces infections de devenir graves - le point essentiel. Une étude du groupe Kaiser a montré que deux doses, au fil du temps, n'avaient plus aucune efficacité contre Omicron. Des données danoises ont ensuite montré qu'un rappel offrait une protection contre les maladies graves, mais "uniquement pour les personnes de plus de 70 ans". Mais les rappels disparaîtraient-ils eux aussi ? L'étude de l'Agence de sécurité sanitaire du Royaume-Uni a montré que la protection conférée par le rappel Pfizer (troisième injection) était tombée à 45 % après seulement 10 semaines.
Nous avons eu tellement de sautes d'humeur. Pendant un an, nous avons défini le succès des vaccins comme l'élimination du virus, puis comme la réduction des infections et l'arrêt de la propagation, avant de découvrir que l'infection et la transmission post-vaccinnale à d'autres personnes était possible, mais qu'ils réduisaient tout de même le risque d'hospitalisation et de décès - ce qui est déjà beaucoup - mais pas toujours chez les personnes les plus vulnérables. En Occident, beaucoup ont réagi à l'affaiblissement de la protection vaccinale avec le temps en redoublant d'efforts, en proposant toujours plus de rappels. Quelles sont les preuves scientifiques justifiant des rappels fréquents ? C'est une question ouverte aux débats scientifiques.
L'étude originale de Pfizer soumise à la réunion de la FDA sur les rappels était scandaleusement minuscule - 306 patients seulement avaient reçu la section, et ils n'avaient été suivis que pendant un mois et, encore une fois, la plupart des sujets étaient plus jeunes que les personnes à risque (18-55 ans). Pfizer voulait, sur cette base, déployer les rappels auprès de millions de personnes. C'était suffisant pour que les responsables de la FDA posent des questions difficiles. Le plus important, c'est que personne n'avait étudié les effets à long terme de plusieurs stimulateurs d'ARNm - on n'en avait pas eu le temps. La FDA a refusé la recommandation de Pfizer d'approuver le rappel pour l'ensemble de la population américaine. Les deux principaux responsables de son comité de recherche et d'examen des vaccins, le Dr Marion Gruber (responsable et ancien chef scientifique par intérim de la FDA) et Philip Krause (directeur adjoint), ainsi que des collègues internationaux, ont écrit dans le Lancet : "Il pourrait y avoir des risques si les rappels étaient introduits trop tôt ou trop fréquemment, en particulier avec les vaccins qui peuvent avoir des effets secondaires à médiation immunitaire (comme la myocardite, qui est plus fréquente après la deuxième dose de certains vaccins à ARNm, ou le syndrome de Guillain-Barré, qui a été associé aux vaccins COVID-19 vectorisés par un adénovirus [comme ceux d'AstraZeneca ou de Johnson & Johnson]). Si un renforcement inutile entraîne des effets indésirables importants, cela pourrait avoir des conséquences sur l'acceptation des vaccins qui vont au-delà des vaccins COVID-19."
Lorsque les responsables scientifiques du comité d'examen des vaccins de la FDA et leurs collègues soulèvent de telles questions, on ne peut pas les rejeter comme des propos alarmistes marginaux. Peu après, les docteurs Gruber et Krause ont quitté la FDA parce que l'administration Biden faisait pression sur eux pour qu'ils approuvent les rappels avant même que le comité des vaccins ne se soit réuni. La pratique standard pour l'approbation est que les agences convoquent des groupes d'experts externes pour examiner les données ouvertement, peser les risques et les avantages, et voter. Mais en décembre, la direction de la FDA et des CDC a pris à trois reprises la mesure extraordinaire de ne pas convoquer ces experts pour les réunions clés sur les rappels, en les contournant essentiellement parce que les membres du comité avaient averti que les données scientifiques étayant les rappels pour les jeunes étaient faibles, voire inexistantes, et qu'ils avaient des préoccupations en matière de sécurité. Le Dr Paul Offit, peut-être le médecin-scientifique américain le plus en vue parmi les “provaccins” et qui faisait partie du comité de la FDA, a déclaré à The Atlantic qu'il ne conseillerait pas un rappel à son fils de 20 ans en bonne santé, ou à un adolescent en bonne santé, car les risques de myocardite (plus élevés chez les hommes) sont supérieurs aux avantages. Le Dr Offit rejette l'approche du "tout ou rien" adoptée par les CDC et la FDA en matière de vaccination des enfants.
Vinayak Prasad, l'épidémiologiste de l'UCSF, affirme que si l'on met ensemble les études danoise, ontarienne, américaine et Kaiser sur Omicron, "il est temps de faire face à la réalité des vaccins".
"Deux doses de vaccin ne font rien ou presque rien pour arrêter le SRAS-CoV-2 symptomatique", dit-il. "Trois doses ne font presque rien, et l'effet s'atténuera probablement avec le temps". Selon lui, "les mandats de rappel n'ont aucun sens. Les rappels devraient être effectués dans les populations où ils réduisent davantage les maladies graves et les décès, c'est-à-dire les personnes âgées et vulnérables."
Avec la montée en puissance d'Omicron, la santé publique israélienne s'est réunie pour discuter d'un quatrième rappel. Le New York Times a rapporté que certains scientifiques du groupe consultatif du gouvernement israélien sur les rappels "ont averti que le plan pourrait être contre-productif, car un trop grand nombre de piqûres pourrait provoquer une sorte de fatigue du système immunitaire, compromettant la capacité de l'organisme à combattre le coronavirus". Cette fatigue du système immunitaire n'était, peut-être, pas incompatible avec une efficacité négative du vaccin. Ce n'est pas prouvé, mais le fait que des responsables de la santé publique expriment de telles inquiétudes montre que la stratégie de doublement des rappels est en train d'être réévaluée du point de vue de la sécurité. L'UE, à rebours, vient de se prononcer contre les rappels réguliers et continus, craignant que cela n'affaiblisse la réponse immunitaire.
Des personnes dans une maison de retraite privée dansent avant de recevoir leur quatrième dose de vaccin à Netanya, en Israël. Les Israéliens peuvent recevoir le Pfizer comme quatrième dose s'ils ont plus de 60 ans, s'ils sont immunodéprimés ou s'ils travaillent dans le secteur de la santé. Ariel Schalit/The Associated Press
Dès le début, certains scientifiques se sont demandé si notre objectif - la conquête et l'éradication du virus - était le bon. Comme le rappelle Michael Cordingley dans son livre Virus, chaque millilitre d'eau de mer contient entre 10 et 100 millions de virus, et il s'agissait d'un virus respiratoire, flottant librement, tout autour de nous, susceptible de changer de forme et de muter. Pouvions-nous, nous, conquérants de la nature, vraiment vaincre un ennemi aussi omniprésent et agile ?
Comme nous l'avons vu, dans le cadre de cette réévaluation, la plupart des experts en santé publique ont formulé un objectif de plus en plus nouveau : il ne s'agit pas d'"éradiquer le virus", mais de faire baisser le nombre d'hospitalisations et de décès, mais aussi de travailler avec le virus. Le président de l'Association israélienne des médecins de santé publique, le professeur Hagai Levine, a déclaré : "Comme Omicron est très contagieux, nos efforts pour arrêter sa propagation sont probablement assez futiles. ... Nous ne parviendrons pas à arrêter cette vague". Puis il a osé dire : "Cela fait deux ans que nous essayons d'esquiver la balle, et en Israël nous avons réussi dans une certaine mesure. Mais la majeure partie de l'humanité est encore en vie après avoir contracté le COVID."
Le Jerusalem Post a rapporté qu'en Israël, certains experts de la santé "pensent que la "balle magique" cette fois-ci sera en fait une infection généralisée". Il cite le Dr Cohen, qui a déclaré : "La cinquième vague pourrait se terminer lorsqu'un grand nombre de personnes seront infectées."
Tout comme les décès se sont découplés des cas avec Omicron, nos mandats COVID se sont découplés de la science initialement utilisée pour les justifier. Mais les poteaux de buts ont été déplacé durant la partie, et on affirme maintenant que seuls les mandats empêcheront les hôpitaux d'avoir des patients non vaccinés à haut risque. Quels sont les chiffres ? Au 20 janvier, 740 personnes non vaccinées et 2 091 personnes totalement vaccinées étaient hospitalisées pour la COVID (mais pas dans les unités de soins intensifs). Dans les unités de soins intensifs, il y a 208 personnes non vaccinées et 263 personnes entièrement vaccinées. Il est vrai qu'il y a moins de personnes non vaccinées que de personnes vaccinées en Ontario, mais si les opérations chirurgicales sont retardées, c'est clairement parce que les deux groupes occupent des lits. Dépeindre les personnes non vaccinées comme la seule cause est inexact, et détourne l'attention du fait douloureux que le Canada a moins de lits d'USI et de soins aigus par habitant que presque tous les pays du monde développé, et que les vaccins actuels ne fonctionnent pas aussi bien qu'on l'espérait. Ce qu'il faut, ce n'est pas plus de boucs émissaires et de coercition, mais la guérison, et un traitement plus précoce pour les deux groupes, maintenant que nous l'avons. Respecter le fondement de l'éthique médicale, à savoir aucun traitement sans consentement, est humain, préférable et possible.
Bill Gates lui-même est également en train de réévaluer la situation. Il a admis en novembre dernier : "Nous avons besoin d'une nouvelle façon de faire les vaccins." Il a également admis que notre champ d'action avait été trop étroit. "Nous n'avons pas fait grand-chose en matière de thérapeutique... beaucoup moins que ce qui aurait dû être le cas".
Considérez combien le discours est différent aujourd'hui. De plus en plus de responsables disent ouvertement ce que les auteurs de la Déclaration de Great Barrington (le point de vue de 60 000 signataires, médecins et scientifiques de santé publique) ont dit il y a quelque temps : Notre objectif n'est pas l'éradication du virus, ni une politique universelle, mais la réduction du nombre de décès chez les personnes vulnérables grâce à une protection et une vaccination ciblées.
L'immunité dont nous disposerons sera un mélange d'immunité vaccinale et d'immunité naturelle, en fonction de la personne. Le nouveau plan - vivre avec le virus et reprendre une vie normale - s'écarte de la pure "conquête de la nature" baconienne et renvoie à l'ancienne notion hippocratique selon laquelle nous devons travailler avec la nature en allié, dans une sorte de collaboration.
Puisque la nature peut être à la fois "l'ennemi", mais aussi notre fondement même, notre allié et ami potentiel, aucun discours qui exclut l'un ou l'autre côté de cette dualité ami/ennemi ne peut rendre justice à la médecine et à la guérison. Si l'abandon d'Hippocrate a été le premier revirement de la médecine, nous assistons, avec son retour, au revirement d'un revirement.
Cela a été un coup dur pour notre narcissisme baconien d'être bouleversé par la nature ces deux dernières années. Ma propre sensibilité baconienne intérieure semble presque offensée de me voir admettre que la protection est venue non seulement des avancées scientifiques, mais aussi de l'immunité naturelle. D'autres pourraient y voir un rappel rassurant que les processus naturels ne sont pas toujours et uniquement l'ennemi. Nous découvrirons, en observant les non-vaccinés, dans quelle mesure l'immunité naturelle, s'accumulant en vagues d'infections au fil du temps, protège ou non, pour les variants actuels ou futurs.
En attendant, donnons à l'infaillibilité un jour de congé. Nous disposons d'une certaine ingéniosité et de certains outils dans notre boîte à outils, aucun n'est parfait, mais si nous utilisons l'ensemble de la boîte, au lieu de n'utiliser que le marteau, nous nous en porterons peut-être mieux. Cela vaut pour la façon dont nous traitons le virus, et la façon dont nous nous traitons les uns les autres. Et pour les scientifiques parmi nous - ces étranges créatures, toujours en train de réévaluer ! - il est réconfortant de savoir qu'après deux ans de travail acharné, nous disposons d'un nouveau discours, ou d'une nouvelle image de notre situation, qui, bien qu'imparfaite, est plus nuancée et probablement plus proche de la vérité.
Traduction effectuée par Elena Ostapchenko; révision effectuée par Jennie-Laure Sully et Richard Gendron.
Note de la rédaction (du Globe&Mail) : Une version antérieure de cet article contenait une référence à une étude non évaluée par les pairs et rédigée par des membres de Santé publique Ontario, du CIEM, de l'École de santé publique Dalla Lana, de l'UHN et d'autres grandes universités et programmes de santé de l'Ontario. La référence a été supprimée. L'auteur principal de l'étude ontarienne, le Dr Jeff Kwong, a déclaré à CBC News, avant la publication de l'article d'opinion, que les résultats étaient en train d'être mis à jour grâce à des données supplémentaires qui ont montré des résultats différents. "Nous sommes en train d'ajouter deux semaines de données supplémentaires et il semble qu'il n'y ait plus de VE négatif (efficacité du vaccin). Nos résultats sont maintenant plus conformes aux données du Royaume-Uni, où l'efficacité est plus faible, c'est certain, par rapport à Delta, mais n'est jamais négative... et l'efficacité vaccinale est plus élevée avec le rappel ", a-t-il déclaré. Le Globe and Mail n'était pas au courant de l'interview du Dr Kwong à ce moment-là.
Merci! Fort instructif et porteur.