Destruction du tissu social
Le gouvernement de la CAQ a créé une épidémie de problèmes de santé mentale
Crédit photo : Radio-Canada.
* Première partie *
Destruction du tissu social
L’expression consacrée pour désigner le désintérêt politique à l’égard des CHSLD est tragiquement connue sous le vocable « l’angle mort du système de santé ». Mais il importe de reconnaître qu’il n’y a pas que la vieillesse qui a pâti des erreurs de la mauvaise gestion de la pandémie du SRAS-CoV-2, et qu’un « mal silencieux de la jeunesse » a frappé fort.
Les mesures de confinement et de distanciation qui ont été instaurées depuis le 13 mars 2020, date de l’entrée en vigueur de l’état d’urgence sanitaire, ont eu un impact si délétère sur la société qu’il serait légitime de dire qu’elles ont suscité l’effet inverse, soit la sénescence du tissu social. L’isolement des individus et la privation des activités normales de socialisation ont eu un impact dévastateur sur la santé psychologique de la population, particulièrement chez les jeunes.
L’école à distance pour les adolescents du secondaire et pour les jeunes adultes du Cégep et de l’université à l’hiver 2020, la fermeture des centres sportifs en tout genre et l’impossibilité de pratiquer des sports d’équipe, l’imposition d’une distance de 2 mètres entre les individus, la fermeture des commerces non-essentiels — les cafés étant des lieux de socialisation hautement privilégiés des étudiants — l’imposition d’un couvre-feu empêchant la libre circulation des personnes du 9 janvier au 28 mai 2021, etc. Voilà autant de décisions du gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) qui ont participé à la création d’un climat social toxique.
L’humain, cet être grégaire
L’adolescence est une période cruciale de la vie où les modes de la sociabilité sont susceptibles d’affecter le développement du cerveau social. Dans cette optique, il va de soi que l’appartenance à un groupe d’amis et les interactions qui en découlent revêtent une importance de premier plan au maintien d’une vie équilibrée. Restreindre l’accès aux différents cercles de l’agir grégaire qui composent la sphère sociale pourrait avoir un impact marqué sur la santé mentale des jeunes.
Une enquête par sondage chapeautée par la professeure de la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke, Mélissa Généreux, a été menée dans 47 écoles de l’Estrie et de la Mauricie-Centre-du-Québec (36 écoles secondaires, neuf écoles collégiales et deux universités) auprès de 16 500 personnes âgées de 12 à 25 ans, afin d’établir un profil de la santé psychologique de cette population, du 18 au 26 janvier 2021. Les résultats de cette enquête sont pour le moins inquiétants. On y rapporte que 35% des jeunes du premier cycle du secondaire montrent des « symptômes compatibles avec un trouble d’anxiété généralisée ou une dépression majeure », une proportion qui passe à 50% au deuxième cycle du secondaire. Comble du malheur, les chercheurs rapportent des taux de détresse encore plus importants dans la population post-secondaire, « avec une proportion d’anxiété ou de dépression probable aussi élevée que 58% ». Amenés à identifier les facteurs néfastes à leur santé psychologique, 41% des élèves du secondaire ont pointé « la réduction des activités sociales, sportives et culturelles », contre 61% des étudiants post-secondaires. L’augmentation du temps d’écran et les cours en ligne figurent aussi parmi les éléments problématiques. Quelles solutions ont été rapportées par les jeunes pour contrer la situation et entretenir leur bien-être psychologique ? Le « maintien des cours » en présence physique, « la participation à des activités sportives parascolaires » et « la création de liens significatifs avec les membres de la communauté scolaire ».
Bref, on ne peut pas avoir plus clair et limpide que l’avis de ces jeunes, soit les principaux concernés par la déréliction de la vie normale. Les décisions impliquant l’imposition de l’isolement social ont eu des effets dévastateurs, auxquels ont été opposés, pour toute solution, des éléments de mitigation ou d’annulation des mesures mises en place, c’est-à-dire un retour à la société ouverte.
Mais il y a plus. Une autre équipe de chercheurs (impliquant encore la professeure Généreux) a mené une série d’enquêtes transversales dans sept régions administratives du Québec, à partir de panels web variant environ de 6000 à 10 000 participants, dans le but d’évaluer la santé psychologique à l’échelle de la population. Depuis le début de la pandémie, on remarque une évolution inquiétante du nombre de personnes qui affirment souffrir d’anxiété probable, de dépression probable, ou encore qui ont des idées suicidaires sérieuses. Les résultats obtenus au mois d’octobre 2021 montrent que 18 % des adultes Québécois se disent affligés par la dépression, 14 % se sentent affectés par l’anxiété et 7 % éprouvent des idées suicidaires sérieuses, contre environ respectivement 7 % pour la dépression par rapport au stade pré-pandémique, 3 % pour l’anxiété et 3 % pour les idées suicidaires sérieuses. Et dans cette même enquête du mois d’octobre, 22 % des répondants disent souffrir de dépression ou d’anxiété.
Lors de sa présentation dans le cadre de l’Institut d’été du Centre de recherche et d’intervention sur le suicide, enjeux éthiques et pratiques de fin de vie (CRISE), le professeur Généreux, qui est aussi médecin de santé publique, a clairement signifié sa préoccupation concernant les résultats de la dernière enquête. « Nos données d’octobre [2021] […] me fatiguent un petit peu, parce qu’on a quand même [un adulte sur cinq parmi les 10 000 répondants] qui nous dit […] avoir un cumul de symptômes qui correspondent à, soit un trouble d’anxiété généralisée ou une dépression majeure. 22 % c’est quand même énorme ! », a-t-elle lancé.
Pis encore, Mme Généreux a souligné que les niveaux d’anxiété et de dépression pour le Québec, en plus d’être plus élevés qu’avant la pandémie, « sont beaucoup plus près des niveaux qu’on a pu observer dans les mois qui ont suivi d’autres crises majeures, comme les feux de Fort McMurray ». « C’est quand même assez frappant de voir que notre population tout entière du Québec, et probablement mondiale, se retrouve à un niveau de moral qui s’apparente […] à ce qu’on peut voir dans des communautés durement frappées par des catastrophes […] environnementales aigües », a-t-elle déploré.
Parmi les groupes les plus affectés, on dénote que 14,8 % des travailleurs à faible revenu (moins de 20 000$ par année) démontrent des pensées suicidaires sérieuses, une proportion qui s’élève à 14,5 % des personnes sans emploi, à 11,2 % des 18-24 ans et à 10,2 % des étudiants. À propos du taux observé chez les 18-24 ans, soit la catégorie d’âge qui a connu la plus forte augmentation du taux d’individus présentant des idées suicidaires depuis le début de la pandémie, la professeure Généreux a souligné : « moi je trouve cela personnellement inquiétant ».
Une des limites de cette série d’enquêtes tient au fait qu’elle sonde une population différente à chaque fois à partir de panels web de Léger, mais qui obtient tout de même une certaine représentativité avec un système de quotas.
Précarisation de la santé psychologique
Dans une étude menée par plusieurs chercheurs québécois qui a été publiée au mois de septembre 2021, une cohorte de 1039 jeunes adultes, âgés de 20 ans en 2018, a fait l’objet d’un suivi longitudinal jusqu’en 2020. Il a été déterminé, entre autres, que le nombre d’individus présentant des symptômes de dépression sévère a augmenté par rapport au niveau pré-pandémique. Les chercheurs ont établi que durant la première vague de la pandémie, 8,2 % des participants avaient affiché des symptômes de dépression sévère, contre 6,1 % en 2018, soit une augmentation de 1,9 %. Cette augmentation était principalement due à des individus dont la santé mentale était auparavant équilibrée. Comme cette augmentation a été observée à la suite de la première vague, il est possible que la situation se soit détériorée depuis.
Cela dit, qu’une enquête populationnelle avec une composition conjoncturelle issue d’un panel web soit alarmante, ou qu’un suivi longitudinal le soit moins, la direction vers laquelle pointe ces deux études est la même malgré une différence de magnitude des taux observés : la dégradation de la santé mentale des Québécois.
Combien de temps mettront les personnes affectées à s’en remettre ? Le tissu social sera-t-il compromis à travers les générations futures ? À la lumière de tout ce qui précède, se trouve-t-il une personne pour croire qu’une analyse coûts-bénéfices de l’implantation des mesures sanitaires ait été adéquatement réfléchie ? Poser la question c’est y répondre.
En plus d’avoir échoué à protéger le troisième âge, la CAQ a induit une précarisation de la santé psychologique à l’échelle de la population. La destruction du tissu social a affecté de façon prépondérante les moins de 25 ans, ce qu’il s’avère désormais légitime d’appeler « le mal silencieux de la jeunesse ».
Julien Garon-Carrier, M.A. en science politique
On aurait pu faire autrement
* * * seconde partie du texte - à venir * * *